Lu dans Libération du 5 Décembre 2011 et le JDD du 4 Décembre 2011
Comme nous l'avons déjà évoqué, l'année 2011 a été entaché de nombreux faits divers sanglants, impliquant des armes de guerre, utilisées par des malfaiteurs contre les forces de l'ordre ou des civils et ayant entraîné de nombreuses victimes collatérales.
En cette fin d'année, les projecteurs ont été plus particulièrement braqués sur Marseille et sa région, ville dans laquelle ont eu lieu de nombreux règlement de comptes.
Alors, entre info et intox, comment démêler le vrai du faux ? Les armes de guerre sont elles aux portes des grandes villes de France ? Tous les délinquants sont-ils armés ? Les gilets pare-balle seront-ils bientôt remboursés par la Sécurité Sociale ?
Essayons d'y voir plus clair (en tout cas dans les infos "officielles" parues dans le presse)
Marseille
L'actualité récente y recense 3 affaires de règlements de compte, impliquant des armes à feu, pour un bilan de 3 morts et de 2 blessés graves. Pourtant, les chiffres semblent meilleurs cette année qu'en 2010 : 49 homicides ou tentatives d'homicides dans les Bouches du Rhône en 2011, contre 67 l'année dernière (Direction Interrégionale de la Police Judiciaire).
Sauf si, comme le Procureur de la République de Marseille, on tient des comptes sur l'ensemble des violences mortelles commises : on passe alors à 31 affaires depuis le début de l'année, contre 29 en 2010 et 19 en 2009. Cette inflation montre une réelle diversité des faits, des vols qui tournent mal aux crimes passionnels en passant par les bagarres sur la voie publique. Mais surtout, pour un tiers, des règlements de compte. Depuis Janvier 2010, les exécutions ont fait près de 30 morts à Marseille, la plupart lié à ce que la police judiciaire appelle "le néobanditisme lié au trafic des cités".
France
La presse recense 12 affaires de fusillade au cours des 3 derniers mois en France causant 9 morts et 7 blessés. Elles concernent aussi bien la région parisienne que Lyon ou le sud de la France (Marseille, Corse, …)
Utilisateurs
Dans les quartiers sensibles, le contrôle des trafics est très atomisé (drogue notamment), et le libéralisme sauvage prend tout son sens : il faut faire peur, impressionner les rivaux, défendre son territoire. D'où l'affection particulière pour les kalachnikovs.
Affection qui concerne de plus en plus de jeunes gens, pas ou peu formés, méconnaissant les armes. Parce que les munitions coûtent chères et sont difficiles à trouver, parce qu'il faut "faire le méchant", parce que le cinéma et les jeux vidéos donnent une image "bling" de l'arme à feu, la plupart des néo-caïds positionnent leur arme en "full auto", sans savoir maîtriser réellement une rafale automatique.
A leur volonté de tirer sans réfléchir s'ajoute donc la dangerosité de tirs multiples à haute cadence : la gerbe de projectiles part à gauche, à droite , en l'air… risquant à tout moment d'impliquer des victimes innocentes.
Ajoutons à cela un amateurisme certain dans la préparation des coups, sur des cibles peu rémunératrices mais tentantes car peu protégées (et très encombrées de clients, type supermarchés, superettes, bureau de tabac, …) et une culture du "coup de pouce" sous forme d'alcool ou de drogue pour se "chauffer" avant de monter sur une affaire et on a là le cocktail parfait pour que tout foire. Certains policiers locaux s'étonnent même qu'il n'y ait pas plus de victimes.
Une culture à l'opposé du grand banditisme, qui règle plutôt ses comptes à l'arme de poing, et limite lors des braquages l'usage des armes de guerre. Surtout, ces mêmes pros s'inquiètent eux aussi de l'usage qu'ont les plus jeunes de l'arme de guerre et surtout de la disproportion entre les moyens et les gains. Alors que des équipes rodées tapaient des fourgons sans tirer un coup de feu, on voit maintenant des teams amateurs arroser les forces de l'ordre en pleine rue pour le contenu d'un tiroir caisse de bar-tabac.
Kalachnikov
La plupart des armes de guerre en circulation en France semblent provenir des Balkans. Elles arrivent en très faible quantité (de 5 à 10), parfois à l'unité, par des réseaux quasi artisanaux. En un aller-retour d'une journée, un trafiquant peut se trouver aux portes de l'Europe de l'Est et rapporter une ou plusieurs armes. Il s'agit aussi parfois de "mules", souvent natifs du pays, qui acceptent, de retour de vacances, de passer une arme dans leur véhicule. Il est en effet très difficile de contrôler ce type de tourisme un peu spécial.
D'après les informations publiées, le prix d'une Kalachnikov varierait entre 750 et 2000€ à Marseille, selon les sources d'approvisionnement et l'état des armes.
Quant au nombre d'armes en circulation, il est difficile à déterminer. Le seul chiffre connu et certain reste celui des saisies : 318 armes saisies en 2011 dans les Bouches du Rhône, dont une dizaine de Kalach'. En 2010, il y a eu 2710 saisies d'armes à feu au niveau national, dont 3% d'armes de guerre.
Le nombre d'armes illégales est estimé pour sa part à environ 30.000, sachant que le nombre d'armes légalement détenues (chasseurs, tireurs sportifs, etc…) est de 3,14 millions.
Importation
La fin du conflit libyen fait craindre une nouvelle arrivée d'armes peu chères en Europe et en France. Les avis des experts sont partagés : certains pensent que ces armes vont avant tout s'exporter vers les pays limitrophes de la Lybie (Algérie, Mauritanie, Mali, Niger), ou les groupes armés sont légion (sans oublier AQMI-Al Qaida au Maghreb Islamique). Pour d'autres, certaines armes remontent déjà vers l'Europe et seraient en Italie, voire auraient déjà franchi les Alpes. Difficile de trancher, mais les services concernés ont, au dire des journaux, augmenté leur niveau de vigilance.
Organisation
Les saisies sur le terrain Français restent difficiles à réaliser. D'une part, les armes sont parfois cachées chez des particuliers lambda, sans casier, qui gardent le matériel chez eux en échange d'un loyer de la part des malfrats. D'autre part, certains malfaiteurs n'hésitent pas à louer leur armement à des "collègues" : une même arme peut donc servir à plusieurs groupes ou bandes.
Les fouilles ciblées d'appartements de suspects sont donc rarement couronnées de succès : il faudrait pouvoir vérifier tout un immeuble d'un coup, même les logements de gens à priori innocents, ce qui n'est pas près d'être fait.
Vigilance citoyenne
Que peut faire le citoyen lambda ou le pratiquant d'arts martiaux/ sport de combat face à l'augmentation du nombre de cas de tirs urbains ?
D'abord et avant tout ne pas se cacher derrière son petit doigt ! Ce n'est pas parce que c' est incongru, malsain, pas noble, dangereux, … ou tout ce qu'on voudra que ça n'arrive pas.
Comme le dit Jim Wagner, expert en self défense et promoteur de la notion de Reality Based Self Défense, il est tant que les instructeurs et pratiquants se réveillent et commencent à intégrer à leur cursus un enseignement de survie face à l'arme à feu. ("For the past decade I have been telling martial arts instructors to WAKE UP! and start teaching their students how to survive gun attacks, terrorist small arms attacks, and YES, hand grenade attacks. Today’s violence needs much more than just learning how to punch and kick.(…)So, how many more attacks are necessary on innocent people before martial arts schools start figuring out that people need to know how to defend against these brutal attacks as well as the proverbial “bar fight.”).
Il ne s'agit d'ailleurs pas tant d'enseigner et d'apprendre des techniques de désarmement, que d'implanter une connaissance théorique et pratique de l'arme à feu :
- Comment ça fonctionne ?
- Quels sont les effets sur les matériaux et le corps humain ?
- Comment se prémunir de ces effets ?
- Quel comportement global adopter face à une arme à feu ? de près ? de loin ? dans une situation de braquage ? dans une situation de "tireur fou" ?
Des thèmes que nous avons déjà abordé ici et que nous vous invitons à relire si besoin, en espérant que personne n'en aura besoin !